J'ai écrit ce texte hier suite à l'application de l'arrêt ministériel. J'ai toujours cru que mettre en mots nos souffrances nous aidait dans notre cheminement. Nous sommes tous et toutes dans le même bateau en ce temps de crise alors je vous laisse mon texte ici, pour que d'autres puissent s'y retrouver. Je suis au CHSLD de Blainville. Je ne suis pas un ange gardien, encore moins une héroïne. Je suis une femme avec le mauvais métier... Les dernières semaines sont bouleversantes, pour vous, pour moi, pour le monde qui était le nôtre et qui sera à jamais changé. On se souviendra du avant, du pendant et je croise les doigts pour voir un après serein, où les valeurs de chacun, bouleversées par cet ouragan invisible, auront repris leurs juste place. Je ne suis pas un ange gardien, encore moins une héroïne, mais voilà que je me trouve bien malgré moi dans le nerf de la guerre... Vous trouvez le temps en confinement long et ennuyant... vous ne comprenez pas votre chance! Je n'ai pas l'opportunité de profiter de ce temps d'arrêt que la vie nous prête. Moi, comme tant d'autres, je rentre au travail la peur au ventre, l'angoisse au cœur. J'avais la chance de ne travailler qu'à temps partiel, je ne l'ai plus. L'employeur rappelle les troupes, qu'elles le veuillent ou non. L'heure n'est plus au choix, il est au combat... Je ne suis pas un ange gardien, encore moins une héroïne. Je ne suis pas non plus un soldat, et pourtant je suis au cœur de cette guerre. Elle se joue sur plusieurs fronts, je suis sur l'un d'eux. Je ne suis pas à l'hôpital à essayer de sauver ceux qui entrent malades. Je suis au chevet de nos aînés, en CHSLD. Si je suis habituellement sereine avec la mort, j'ai peur d'avoir à l'affronter cette fois-ci. Peur qu'elle fauche trop de vies d'un coups si les forces ennemies venaient à forcer nos remparts. Insidieux comme elle l'est, peut être a-t-elle déjà réussi à entrer... Je ne suis pas un ange gardien, encore moins une héroïne. J'ai seulement choisi le mauvais métier. Je fais partie de ce système de santé, déjà malade et déficient, qui doit maintenant se montrer fort et solidaire en affrontant un seul et même ennemi, invisible et terrifiant. Je vais me battre pour vous, malgré la peur et l'angoisse, car ma force est ma plus grande faiblesse, mon dévouement est sans fin. Pour mes patients, mes collègues, mes amis, ma famille. Je le fais et le ferai encore, quitte à m'oublier au passage. Ce ne sera pas la première fois, j'espère que ce sera la dernière... Je ne me vois pas comme un ange gardien, ni comme une héroïne, encore moins comme un soldat... Et pourtant, que je le veuille ou non, je suis un peu de tout ça à la fois...